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Bethmale - Le costume Bethmalais

Un costume original

La vallée de Bethmale ne serait pas plus renommée qu’une autre si ce n’était l’originalité de son costume traditionnel.
Au premier abord, ce costume paraît être d’une très grande richesse, tant ses couleurs sont vives, ses broderies variées et éclatantes, formant une harmonie de couleurs et de formes exceptionnelles.

 

Mais à l’examen, on remarque que tous les éléments du costume, autant pour l’homme que pour la femme, sont réalisés avec les matériaux et les moyens de cette vallée de montagne : laine et lin filés, teints et tissés sur place. En réalité, les seuls éléments achetés étaient les rubans vendus par les nombreux colporteurs et le châle à roses.

Le Bethmalais

Le costume de fêtes est identique dans ses formes et matières utilisées à celui de tous les jours mais il s'en démarque par une abondante décoration de broderies colorées. Le bethmalais vaquait à ses occupations quotidiennes avec sur sa tête une petite calotte "la bareto" qu’il portait coquettement sur l’oreille. Elle est rouge et bleue, de coupe compliquée en quartiers inégaux, ornée de broderies et de cocardes. C’est une coiffure très originale et unique en France. Par dessus une chemise de grosse toile de chanvre, le bethmalais était revêtu d’un gilet de laine blanche tricoté avec des baleines de parapluie de manière à produire un tissus indéformable et très solide. les bordures de ce gilet sont ornées d’un ruban noir délicatement brodé de nombreux motifs, souvent géométriques, jamais semblables mais gardant toujours un même style. Sur ce même tricot, des arbesques de laine rouge recouvrent les épaules. Une ceinture de flanelle rouge ou bleue protée sur le devant retient une culotte de drap bleu, brun ou beige s’arrêtant au genou. Les jambes sont protégées par de fortes guêtres de drap gris ou brun serrés au-dessus du mollet par des cordellières à pompons et recouvrant parfaitement le dessus du sabot. L’hiver une grande cape de laine tissée maison est un complément très utile.

La Bethmalaise

Les femmes n’avaient qu’un costume, mais elles avaient rendu magnifique celui du dimanche. Sur la tête, une coiffe blanche de toile fine retombant sur les épaules. Un bonnet rouge, "le couhet", plus petit, s’applique sur la coiffe blanche. Il est recouvert de broderies jamais semblables, faites sans canevas par la brodeuse. 

Un large ruban de velours noir enserre de deux tours le dessus de cette coiffe pour en faire un coussin solide qui servira à porter sur la tête, tenue bien droite, la cruche, le fagot de bois, le paquet de linge et même le berceau. un casaquin très ajusté, en laine rouge doublée d’étoffe de lin sert de corset et de soutien-gorge. Une jupe de lin à rayures bleues, blanches et rouges, ou en fort drap de laine tissée au village, très plissée à la taille (montage "tuyau") est recouverte d’un tablier "devantaou" à bavette.

Cette bavette forme deux losanges dont chaque pointe est, en haut épinglée sur la poitrine. Le tout est largement brodé. un ruban enserre la taille. 

 

Enfin sur les épaules un châle qui pouvait être soit tissé maison, blanc brodé de rouge ou de bleu, soit en fin lainage brodé ou bien, sans doute le plus récent, le "châle à roses". Ce châle de style XVIIIe a été créé à Mulhouse en 1740, imprimé à Toulouse jusqu’en 1910, et vendu aux bethmalaises par un commerçant très connu de Saint-Girons, la maison Brunet (recherches : Paulette Bourges).

Les sabots

Le costume ne serait pas complet sans ses sabots.
Comme certains sabots de montagne, le sabot de Bethmale a la forme "bateau", sans talon, avec une pointe étroite et franche assez effilée. A Bethmale les pointes sont beaucoup plus hautes que partout ailleurs (30 cm) et la décoration de ces pointes, du dessus du sabot et de la bride avec du cuir et des clous de cuivre, est tout à fait caractéristique de cette seule vallée.
 

Plusieurs explications ont été émises concernant les origines de cet étonnant costume. Elles sont régroupées en deux grandes tendances 

Un costume ancien sauvegardé par l’isolement d’une vallée

La première, la plus connue regroupe les hypothèses, marquées par le romantisme, attribuant l’origine du costume à un apport étranger ancien. L’isolement de la vallée aurait soustrait ce costume aux nombreuses influences qui ont marqué la majorité des costumes traditionnels. Son caractère d’origine aurait ainsi été conservé. Jacques Bégouën, un des tenants de cette tendance, cite un certain nombre de légendes qui semblent accréditer l’hypothèse d’une origine très ancienne. Par exemple la légende de "Jouanissou" explique le peuplement de la vallée par le retour d’un bethmalais au pays vers l’an 1600 après un long voyage en Grèce. Il avait notamment ramené de ses pérégrinations un harem et de nombreux serviteurs ; cette population fit souche dans la vallée et conserva ses coutumes. 

Mais les moeurs inhabituels scandalisèrent les habitants des vallées voisines, qui mirent Bethmale au ban de la société, d’où la conservation de ce costume d’origine grecque.

Toujours selon la légende, les sabots si particuliers de Bethmale seraient plus anciens encore et remonteraient à l’an 1000 lorsque les Maures conquirent la vallée. Un jeune guerrier Bethmalais trompé par sa fiancée avait fabriqué ces sabots originaux afin de pouvoir planter sur les pointes les cœurs sanglants de celle-ci et de son amant, un chef des Maures.

 

Enfin, l’abbé Duclos, dans son Histoire des Ariégeois (1881-1887), attribue l’origine du costume à une peuplade d’Irlandais habitant une île grecque et ramenée par le seigneur de Solan à son retour des croisades. Ils s’installèrent dans la vallée et adaptèrent leur costume aux rigueurs du climat tout en gardant son cachet d’origine.

Un costume à l’évolution récente

La deuxième tendance regroupe ceux qui proposent un développement assez récent de ce costume et une initiative locale. Ce raisonnement s’appuie sur les rares descriptions anciennes du costume Bethmalais, ainsi que sur un certain nombre d’événements historiques qui auraient influencé l’évolution du costume.

Les rares écrits connus sur la vallée de Bethmale ne mentionnent l’aspect étonnant du costume qu’à partir de 1820-1830. 

Les écrits antérieurs ne s’attachent pas particulièrement à cet aspect de la vallée pourtant marquant. Ainsi on peut effectivement se poser des questions sur l’existence du costume avant cette époque. Le développement du costume à cette période est expliqué, à l’inverse de la tendance précédente par une ouverture de la vallée de Bethmale vers les vallées voisines françaises et espagnoles au début du XIXe. Les Bethmalais qui, jusqu’à cette période, vivaient en autarcie ont éprouvé le besoin de marquer leur différence et d’affirmer leur communauté face à leurs nouvelles fréquentations. La différenciation par le costume était une des plus aisées.

Un fait marquant : La guerre des demoiselles

Un autre fait historique marquant pourrait avoir été la Guerre des Demoiselles. Les nouvelles réglementations forestières troublaient dans les traditions les plus profondes les communautés de montagne. En effet, la matière première pour tous les ustensiles ménagers, outils des champs, ainsi que pour les sabots, était le bois et chacun avait l’habitude d’en user librement en forêt. Les nouvelles réglementations forestières provoquèrent une révolte qui renforça chaque communauté dans son unité et sa différence par rapport aux voisines et au pouvoir central. Ces différenciations sont apparues dans les manières de se vêtir.

La forme particulière du sabot Bethmalais pourrait dater de cette époque, symbole d’une sorte de défi aux autorités forestières. La légende des sabots transposée à l’époque des invasions mauresques pourrait également être rapportée à cette période.

Chacune des deux tendances ici résumées est crédible, mais un choix reste difficile faute de preuves formelles.

Un costume symbole d’une identité

Après avoir pris connaissance de tous ces arguments, on a envie de proposer une troisième voie issue des deux dernières :

Une influence étrangère ancienne est probable et aurait laissé des formes originales, telles la calotte de l’homme, la coiffe de la femme et probablement certains motifs de broderie. Ce costume serait toutefois longtemps resté sobre dans les couleurs et orné de broderies simples et peu voyantes. Ceci pourrait expliquer le fait qu’il ne fut pas mentionné dans les descriptions les plus anciennes. Ainsi, le XIXe siècle n’aurait vu que l’exagération d’éléments qui existaient déjà ; multiplication des broderies et des couleurs, exagération des formes comme la pointe du sabot. Ce phénomène a existé à la même époque dans d’autres régions françaises.

Grâce à son costume, la vallée de Bethmale avait acquis dès la fin du XIXe siècle une bonne renommée et les familles bourgeoises des grandes villes se fournissaient en nourrices bethmalaises revêtues de leur magnifique costume. Mais déjà, à cette époque, les habitants commencèrent peu à peu à ne plus porter le costume traditionnel. 

Le point de départ de la désaffection d’une partie des habitants pour le costume fut une rivalité de clan, qui entraîna une scission dans la communauté bethmalaise. Le secteur d’Arrien se tourna vers Castillon et se débarrassa alors du costume que, seuls les habitants du haut de la vallée continuèrent à porter. La modernisation générale des campagnes, les conséquences de la guerre 1914-1918 et l’exode des populations portent le coup de grâce aux anciennes traditions et dès lors, la disparition des costumes utilisés dans la vie quotidienne se fit rapidement. 

Ainsi, une des conséquences de cette désaffection fut la création, dès 1906 du premier groupe folklorique bethmalais dans la vallée même.

 

Extrait de "Bethmale, témoignage d’une culture"
Philippe Bourges - 1991 / Nouvelle édition complétée 2022

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